Un an déjà…

 

Une année s’est écoulée depuis le 4 octobre 2011 où j’ai pour la première fois utilisé le traitement hormonal qui m’avait été prescrit, dans le but d’emprunter enfin ce que j’estime être mon chemin vers la liberté.

 

Bon la liberté çà reste relatif…

 

Disons la liberté d’être moi-même avant tout.

 

Les carcans imposés par la vie en société se voient multipliés lorsque l’on ose en déformer l’image attendue.

Il n’y a qu’à voir les regards lancés aux personnes affichant les nombreux looks jugés « décalés », gothiques, androgynes, ou même simplement un peu trop « flashy ».

 

Il n’y a pas que dans les auto-écoles que l’on est jugés sur un code, c’est un examen continu dès que l’on sort de chez soi dans ce pays.

 

Il y a une chose qui est aussi certaine, c’est que la mode féminine, même si on va juger ce qui sera considéré comme une trop grande excentricité, est bien moins soumise à des conditions de genre.

Le look « garçonne » est complètement intégré à l’image de la femme par exemple.

Pour un homme, la féminisation n’est pas du tout perçue comme un style par le public.

Les androgynes sont déjà dévisagés alors ne parlons pas d’un look carrément féminin…

 

Les tentatives de Jean-Paul Gaultier vers le mariage d’éléments masculins et féminins sur des hommes n’ont pas dépassé la largeur des podiums et il paraît même que certains de ses parfums masculins sont boudés par des hommes pour une soi-disant « trop grande féminité », alors que les femmes ne se gênent absolument pas pour porter des parfums réputés masculins sans déranger qui que ce soit.

 

Alors on aura beau dire « J’enquiquine le regard des autres », « je fais ce que je veux (parce que je le vaux bien…) », ce n’est pas forcément simple d’affronter la certitude que son passage ne va pas laisser indifférent.

 

Il reste bien sûr le choix d’essayer de se fondre dans la foule par la tenue la plus discrète possible, et ce n’est pas le seul cas des transgenres puisque beaucoup de femmes optent pour des tenues ne risquant pas de trop les faire remarquer, couleurs sobres, vêtements aux coupes fort peu ostentatoires, et pas trop de talons si possible.

Celles qui dérogent à cette règle et osent porter des talons, des mini jupes ou des couleurs vives sont immédiatement repérées dans la masse et sujettes à une étude plus approfondie, parfois envieuse, parfois libidineuse, et le plus souvent juste due à un réflexe motivé par la différence.

 

Autant dire que la transgenre qui adopte ce look s’expose à cela et risque fort d’être « grillée » sur des détails qui auraient pu passer inaperçus autrement.

En toute logique, le problème n’est pas d’être grillée comme transgenre.

C’est de doublement déranger ces messieurs dames…

 

Les femmes qui s’habillent au gré de leurs envies les dérangent parce qu’elles ne suivent pas le mouvement « requis ».

Si en plus on réalise qu’il ne s’agit pas de femmes biologiques, le quidam réagit comme s’il était trompé avec intentions…

 

Un autre fait dont il faut tenir compte, c’est que l’homme est un loup pour l’homme.

Les rapports de force sont essentiels à l’équilibre de la meute.

L’homme pourtant, à la différence du loup, aime à pariatiser et rejeter les éléments en position de faiblesse de par le nombre, la différence visible qui expose à critique aisée et surtout si bien évidemment ils affichent profil bas.

 

Une sortie en groupe de transgenres les rassurent à juste titre, car on osera moins les asticoter ouvertement, hormis parfois de la part des quelques groupes d’imbéciles dont la provocation est la seule loi.

 

De même, à l’heure ou tout un tas de pauvres gens à l’esprit dérangé, bien souvent par le malheur d’une vie chaotique comme il s’en trouve de plus en plus fréquemment, déambulent dans les transports ou la rue en vociférant d’inintelligibles paroles et dont le passant se détourne de la façon la plus effrayée qui soit, une attitude humble et discrète peut-être interprétée comme un signe de faiblesse et générer quolibets et autres brimades.

 

Mais une fois de plus, il ne faut pas croire que cela se limite aux transgenres et que le reste des gens est épargné.

La courtoisie et le respect de l’être humain n’est plus un sacerdoce pour personne et la moquerie est un jeu pervers qui peut fédérer un nombre impressionnant de personnes, motivées par l’orgueil tiré du fait de rabaisser des gens en présence d’un auditoire, de convictions éducationnelles ou religieuses dans lesquelles ils ont été nourris de haine envers ceux qui ne leur ressemblent pas, ou de sentiments de frustration issus de pensées interdites inapplicables en la circonstance.

 

Les groupes d’individus dont les activités solitaires s’orientent vers ces mêmes personnes qu’ils vont fustiger au sein de la bande, les hommes transis d’émoi et leur femme furibonde au passage d’une jolie petite nana bien dans ses baskets sur laquelle ils vont communément déverser un flot de sarcasmes bourrés d’amertume, les pseudos rangés derrière une foi contraignante ayant les mêmes pensées que les précédents mais qui cette fois vont invoquer l’atteinte au respect de leur foutu Manitou, sont tous autant qu’ils sont la plaie de la liberté évoquée plus haut.

 

Pour ma part, je dirais que ma patience à des limites.

Circuler librement et dans le respect des lois est un droit civique essentiel qu’aucun de ces olibrius n’est en droit de venir entacher de sa sombre attitude.

Tant que cela se limite aux regards, quels qu’ils puissent être, je m’en moque éperdument.

Les gloussements emprunts de malaise et les termes déplaisants marmonnés me passent la plupart du temps au-dessus mais sont à la longue assez barbants.

Les agressions verbales provocatrices scandées haut et fort et les heureusement fort rares agressions physiques, elles, me font monter au créneau.

 

Tout cela pour dire qu’on peut avoir fait un choix symboliquement orienté vers la liberté et devoir affronter une nouvelle forme d’enfermement…

 

Mais après tout, les vies faciles çà ne court pas les rues et loin de moi l’idée d’imputer à ma transidentité l’origine de tous mes maux ou d’en faire un sujet de complaintes pour pleurnicher sur mes détresses passagères.

 

Je l’ai voulu.

J’ai mis 5 ans à tester, analyser et comprendre les enjeux et contraintes que ce choix m’imposerait, alors ce n’est pas maintenant que je vais faire comme si je débarquais de ma bulle face au monde qui m’entoure.

 

Je suis sereine, heureuse et fière d’être qui je suis.

 

Cette année n’a d’ailleurs pas été en reste de m’accorder de grandes joies.

 

Après les premiers mois très difficiles psychologiquement en raison des turpitudes liées aux bouleversements hormonaux, les choses se sont stabilisées, mon esprit à continué d’évoluer tandis que mon corps se transformait enfin, se féminisant de manière régulière mais croissante.

 

L’harmonie obtenue a changé de nombreux points de ma conception globale de mon être.

L’envie de sortir de plus en plus du ghetto dans lequel j’avais fait mes armes en public (lieux et soirées dédiés transgenres), l’envie de partager des amitiés avec des personnes extérieures à ce milieu qui m’acceptent comme je suis, l’envie d’aider par le conseil celles qui me tendent la main tout en restant réaliste sur les limites de mes connaissances, et surtout cette nouvelle envie d’écrire, plus forte, plus essentielle, plus vitale dirais-je même.

 

Est né de cette avidité d’écriture un roman, entreprise enfin aboutie après presque 30 ans d’hésitations et de tentatives avortées.

Ma nouvelle vie entamée, mes pensées soudain bien ordonnées et une volonté d’acier m’ont prouvé que cette transformation dépassait largement le cadre du physique à travers cette réalisation.

 

Un esprit nouveau était venu compléter l’ancien.

Parce que contrairement à certaines idées reçues, je ne crois pas que lorsque l’on devient une transsexuelle l’ancien soi meurt au profit d’une autre entité.

 

Certes certaines choses changent radicalement.

J’ai eu notamment la sensation de voir le monde à travers des yeux nouveaux.

Mais est-ce pour autant logique de perdre ses souvenirs et de renier son passé ?

Absolument pas.

 

L’homme que j’étais n’était autre que la femme que je suis.

Seulement dans mon cas je n’en avais pas complètement conscience et mon mode de vie était différent.

 

Pas de quoi en faire un drame, j’ai vécu une vie passionnante et d’une richesse inouïe, je ne renie rien et suis la première à y faire référence si l’occasion se présente.

La renaissance n’est qu’un symbole, je suis née il y a 46 ans et pas il y a un an.

Le nouveau moi est une énième réalisation de ma vie, un accomplissement comme pour mon roman.

 

Il aura mis certes un temps non négligeable à prendre forme mais la vie est un puzzle gigantesque dont nous ignorons tout du résultat final et dont nous passons toute notre existence à assembler les pièces.

 

On se construit et parfois on se déconstruit pour mieux se reconstruire.

Parfois ce sont les aléas de la vie qui mélangent les pièces et qui nous font former une image différente de celle à laquelle nous nous attendions depuis quelques temps.

Les gens sont témoins de cet ouvrage et essaient eux aussi de nous influencer dans la création de certaines images, mais il n’appartient qu’à nous de tenir bon car le vrai bonheur c’est d’être autonome dans ses choix.

 

Roxanne est là à présent, bien là.

 

Je me fiche éperdument des opinions de toutes celles et ceux qui s’interrogent sur le devenir de mon parcours, je n’ai pas à me justifier ni à donner d’infos sur mes intentions d’en faire plus selon une logique qui est leur mais peut-être pas mienne.

 

Certaines qui peuvent me considérer à ce jour comme une « fausse femme » n’ont qu’à bien se tenir parce que l’identité féminine est avant tout un état d’esprit et toutes les opérations du monde ne feront pas une femme de qui n’en a pas l’âme.

 

C’est pourquoi j’avance haut et fort que toute transgenre à le potentiel de se prétendre femme (ou homme dans le cas opposé) et qu’il m’a été donné de constater que certaines ne le sont pas, peu importe l’avancée morphologique dans laquelle elles se complaisent.

 

Le corps peut s’habiller et se transformer mais le cœur et l’esprit resteront toujours les véritables témoins de l’identité d’un être.

 

C’est sur cette phrase que s’achève ce petit pamphlet, bilan d’un an de réflexion sur une condition nouvelle qui s’avère pour moi avoir été un choix magnifique, une vraie consécration.

 

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